Pourtant ce mariage de la TV et de l'internet laisse sceptique ceux qui estiment que les 4 milliards de personnes qui regardent la télévision dans le monde, et qui y passent parfois près de cinq heures comme aux USA, ne veulent peut-être pas mélanger leurs écrans. Nombreux sont ceux qui regardent le "petit écran" tout en pianotant sur leur ordinateur; c'est ce que constatait Nielsen au premier trimestre 2010: la consommation de programmes de télévision augmente en même temps que celle d'internet. Cela n'empêche pas la délinéarisation des usages TV, avec les possibilités techniques de différé, ou d'enregistrement; la catch-up TV s'installe et semble indiquer que la convergence entre TV et internet répond bien à une attente du public. Mais la consommation de télévision reste fondamentalement récréationelle, et exige une simplicité d'usage et de recherche que ne permet pas encore internet. Faites l'essai: la moindre recherche de video sur YouTube renvoie des centaines de milliers de résultats, la plupart de piètre qualité visuelle. Par ailleurs, le nombre inquiétant de boîtes électroniques qui s'empilent près de la télévision (box ADSL, set-top-box, adaptateur TNT, lecteur-graveur DVD ou blu-ray, femto 3G/4G..) manque déjà singulièrement de simplicité et d'intégration. Ajouter une couche logicielle supplémentaire est une vraie gageure: qui dit que l'interopérabilité est garantie entre les composants de la chaîne ? L'interface utilisateur de Google sera-t-elle suffisamment intuitive pour s'imposer de facto aux autres menus proposés ? Autant de questions qui montrent que le défi est de taille.
Certains commentateurs évoquent aussi la question des contenus: ceux-ci ont encore une forte part locale, et la question des droits d'accès premium se posera tôt ou tard à Google si celui-ci veut s'assurer la suprématie du marché publicitaire. Mais rien n'empêche le géant de Moutain View de mettre sa puissance financière à contribution pour diffuser ces contenus sur internet. Il le fait d'ailleurs déjà, comme le souligne la vidéo ci-dessous (réalisée par Gilles Tanguy de Capital, dont l'article "Voici comment Google peut tuer TF1 grâce à YouTube", publié en Mars dernier, prend une résonnance particulière aujourd'hui). Larry Page, con-fondateur de Google, ne déclarait-il pas lors de sa venue en France il y a une semaine: "Notre ambition est d'organiser toute l'information du monde, pas juste une partie"?
Reste l'innovation, et la remarquable compétence de Google à nous rendre certains services indispensables peu de temps après leur conception. Tout dépendra bien sûr de la qualité de l'expérience utilisateur. L'utilisation de son smartphone androïd comme télécommande (avec un monde de possibilités nouvelles en convergence fixe-mobile et en rétention d'utilisateur), le potentiel de la traduction automatique et de l'ajout automatique de sous-titres, et surtout la créativité des développeurs, qui vont profiter de la plate-forme ouverte et imaginer une myriade de nouvelles applications, peuvent suffire à convaincre les téléspectateurs. D'autant plus si les nouvelles couches matérielles et logicielles s'intègrent de façon transparente, simple et gratuite aux téléviseurs vendus dans les grandes surfaces.
Pour les opérateurs de télécommunications qui proposent des services de télévision sur IP, l'urgence est grande de proposer une alternative crédible aux projets de Google, sous peine de se retrouver relégués rapidement au rôle de transporteurs. Des industriels leur proposent déjà des solutions complètes susceptibles de capitaliser plus fortement sur l'intelligence des réseaux fixes et mobiles, et d'améliorer l'expérience utilisateur. La bataille s'annonce rude, et passionnante.